Ennui.
Du haut de tes talons de dix centimètres, tu t’ennuies.
Aucun client un peu louche à l’horizon, aucun visage qui ne te donne envie d’en tirer des grimaces, ton dé qui ne se fait pas aussi chanceux que d’habitude. Tu t’ennuies comme tu ne t’es jamais ennuyée, prête à faire sauter la caisse du casino et en voir tes clients ramper au sol pour quelques pièces juste pour te satisfaire. Mais plutôt crever que de donner ne serait-ce qu’une pièce à ses mains sales.
Alors, avant de faire ce geste de trop qui pourrait t’offrir un sursaut d’adrénaline pour le regretter ensuite, tu cherches la sortie. Poussant sans même t’excuser des clients qui se tenaient là, une grimace de dégoût d’avoir posé tes mains vernies sur eux, tu respires l’air frais et tu sens les rayons de soleil contre ta peau pâle.

Aujourd’hui, tu foules les rues de New Heaven perchée sur tes talons, ta chevelure noire de jais coupée en carrée libre au vent, accompagnant tes nombreux bijoux et ton manteau en fourrure. La seconde d’après, des lunettes de soleil de marque se retrouvent sur ton nez et ta quête d’amusement peut enfin commencer.
Ce n’est sûrement pas ça qui manque dans cette ville immense.
Ta première idée fût de rentrer dans un casino concurrent pour tenter d’y soutirer un maximum d’argent ou bien de baisser sa réputation par n’importe quel moyen. Mais pas question de mettre les pieds dans des bâtiments aussi miteux – tu vaux beaucoup mieux que ça. Alors, idée jetée à la poubelle, tu ères dans les rues en quête de ta prochaine victime.

Tellement de choix que tu ne sais plus vers quoi te tourner.

C’était sans compter le bâtiment de la Ligue de Thémis qui décide de se montrer à l’horizon. Et finalement, une nouvelle idée germe dans ton esprit, propageant ses racines au rythme de tes pas jusqu’à être trop encrée pour que tu puisses passer à autre chose aussi facilement que tu l’aurais souhaité.
Oh, tu ne vas quand même pas t’amuser avec ses gens totalement respectables, au risque de subir le courroux des dirigeants, si ?
Si. Dommage !
D’un pas assuré, tu entres dans le bâtiment sans prendre le temps de retirer tes lunettes de soleil, réfléchissant à toute vitesse. Que pourrais-tu bien faire… ? Dans tous les cas, tu ne peux pas rester plantée ici, immobile – ce serait totalement suspect et tu pourrais te faire virer. Sur cette pensée, tu te diriges vers les flyers et les prospectus aux couleurs vives – avec des slogans idiots inscrits dessus, pour t’inciter à rentrer dans la Ligue –, et tu en attrapes un au hasard.

Tu ne prends pas la peine de faire semblant de le lire. Tu ne fais que de le regarder, perdue dans tes pensées en imaginant quel type de piège tu pourrais tendre à cette jolie dame à l’accueil ou à l’un des (futurs ?) Héros assis sur le siège en plastique près de toi.
Oh, voilà qui risque d’être amusant !

Et te voici déçue.
Il n’y a pas grand-chose qui te vient à l’esprit sans qu’on te prenne, par la suite, pour une terroriste en faveur des méchants messieurs. Peut-être que t’amuser au beau milieu de la Ligue de Thémis n’était pas une si bonne idée que ça. Tu perds ton temps ici – tu l’as toujours perdu, que ce soit à envisager de t’engager à la demande de ta mère lorsque tu étais plus jeune ou en accompagnant Fabien pour ses conférences idiotes.
Ah, Fabien. Finalement, tu ne l’as pas oublié ! Toi qui, pourtant, pensais le contraire… tant pis. Ça fait de l’espace de ton esprit occupé en plus par d’autres déchets.

Une voix t’interpelle.
Pendant un instant, tu te demandes si Madame la Directrice s’adresse bien à toi, ou bien à l’autre plouc avachi sur sa chaise, pas loin. Mais non, visiblement, c’est bien à toi qu’elle parle – quelle chance ! Tu vas pouvoir emmerder la femme la plus haut placée de cet immeuble ! Peut-être que tu ne vas pas être aussi déçue que ça, qui sait ?
Tiens toi à carreau, Lola. Si tu joues à la conne à fond, tu risques te t’en mordre les doigts. Tu ne voudrais pas te mettre toute la Ligue à dos, n’est-ce pas ? Quoi que, ça pourrait être tout aussi amusant… (Mais es-tu prête à aller jusque là ?)
Alors, laissant glisser tes lunettes de soleil le long de ton nez avant de les dresser au-dessus de ton crâne, tu envoies l’un de tes plus beaux sourires à Madame Messaoudi.

« J’aimerais bien quelques renseignements, en effet » autant rentrer dans ce petit jeu, le temps de trouver un tour à lui jouer. « Je ne suis pas sûre d’intégrer la Ligue. Convainquez-moi d’y entrer. »

(Et voilà, tu commences déjà à lui donner des ordres !
N’as-tu vraiment aucune limite ?)

Quand tu y penses, tu aurais pu prendre son apparence afin de t’infiltrer dans les bâtiments. Mais c’était sans compter ton pouvoir et ses limites… tu n’aurais probablement jamais pu reproduire sa peau bleue – à moins de te recouvrir de peinture comme ses artistes contemporains.
Oh, tu ferais mieux de le noter, ça. Ça pourrait te servir, plus tard, lorsque tu auras la merveilleuse idée de vouloir entacher la réputation de la Ligue en te prenant pour la Grande Directrice. Pas que tu aies une dent contre eux, mais tu adorerais te la péter devant les journalistes et revoir les images dans ton grand lit tout de soie et de dentelles, tandis que la Ligue pédale dans la semoule…

Mais revenons au présent !
Madame Messaoudi est en train de t’expliquer les tenants et les aboutissants de la Ligue et toi, tu fais l’affront de ne pas l’écouter. Oups ! Bon, après, ce qu’elle te raconte n’est pas très intéressant, certes, mais tu pourrais au moins être polie, non ?
Non. Tu n’as pas envie, aujourd’hui.
Toi, tu veux de l’adrénaline. Pas des conseils sur comment être un bon citoyen de New Heaven.

Alors, une fois son monologue, ponctué par tes hochements de tête juste pour dire de faire semblant d’écouter, terminé, c’est à toi de parler.
C’est à toi de briller.
Alors, autant briller de mille feux !

« Je vois » (tu vois aussi bien que tu le peux en ayant écouté à peine trente secondes). « J’ai juste une petite question par rapport aux caractéristiques requises pour rentrer dans la Ligue. La peau bleue, c’est obligatoire ? Parce que, voyez-vous, je ne suis pas sûre qu’une telle couleur me sied au teint… »

Une petit grimace pour appuyer tes propos.
Oh, tu as vraiment osé ?