Mon nom est Nobody

Benedict St Clair & Fiona Fitzgerald

S’il est vrai qu’en général la vie n’est que routine, je dois bien admettre que la mienne est tout ce qu’il y a de plus particulière. Attablé à mon bureau, une main touillant nonchalamment dans un thé très cher alors qu’une mélodie légère envahie la pièce, je fixe mes écrans sur lesquelles déambule une foule compact et dense. Sur chaque point de vue sont indiqués l’heure de la prise et je jette régulièrement un œil sur l’horloge murale accrochée au dessus, celle avec les lettres rouges en LED. Paisiblement installé dans mon fauteuil, le dos poussant le dossier en arrière, j’attrape ma tasse pour me mettre immédiatement à siroter mon thé. Les opérations ne commenceront pas de si tôt, ce qui n’empêche pas les différents hommes que je chapeaute de se tenir en place sur le parking de la zone commerciale.

La cible est un jeune professeur de chimie à qui quelqu’un voudrait poser quelques questions, semblerait-il. Le genre presque quarantenaire, déjà quelques cheveux blancs et une barbe bien fournie, assez grand mais loin d’être baraqué. Normalement deux hommes devraient suffire à le tenir sous contrôle, mais pour être plus prudent ils étaient quatre à attendre en faisant mine de s’occuper d’autres choses, sans compter celui qui attendait patiemment dans la voiture. De quoi mener le travail le plus rapidement possible.

Pour l’occasion, j’avais mis à leurs disposition une solution vieille comme le monde mais qui avait déjà à plusieurs reprises fait ses preuves : le chloroforme. De quoi laisser un sacré mal de tête à notre invité, et pourquoi pas l’envoyer dans les vapes pour les deux prochaines heures maximum. Tout devrait bien se passer.


Monsieur Chonks quitte son coiffeur, un petit coup de laque sur ses mèches rebelles et une jolie raie sur le côté droit. Sans plus tarder, un message est envoyé de la pointes de mes doigts rapides sur leurs différents appareils : « L’invité quitte son rendez-vous. Arrivée estimée 15 : 26 » avec une petite photographie en pièce jointe de la nouvelle tête de ce fameux invité. C’était si parfait, si parfait. Je ne pus retenir un rire monosyllabique avant de me réinstaller au fond de mon siège et de porter ma tasse à mes lèvres en douceur pour siroter deux gorgées de thé brûlant.


Les clignotants de la voitures de notre invité clignotent alors qu’il approche de son véhicule et déjà s’avance à sa rencontre une figure surmontée d’une casquette bien basse. Celle-ci rentre dans le pauvre gus qui perds un peu l’équilibre. Il y a quelques mots, des explications, pendant qu’un deuxième débarque derrière le professeur pour lui passer un mouchoir devant les voies respiratoires en le maintenant d’un bras sous le menton. Déjà le fourgon quitte son emplacement pour filer à leur hauteur : de l’intérieur les portes arrière s’ouvre pour laisser voir un autre des gars aider à faire grimper le colis dans l’habitacle. Le quatrième quitte son poste d’observation en retrait et grimpe sur le siège passager sans plus tarder. Tout s’est passé très vite. Très très vite.


Ils quittent le parking en faisant grincer les pneus. Pas besoin de ticket pour entrer et sortir du parking puisque nous sommes en fin de semaine avant l’heure de pointe : je jubile face à ce plan sans accrocs. Je n’ai plus qu’à pianoter pour passer sur les caméras du quartier qui surveillent les rues. Dans quatorze minutes, je devrais m’en déconnecter quoi qu’il advienne avant de me faire repérer. Mais dans quatorze minutes, le colis sera déjà passé de main en main et je serais déjà loin comme d’habitude.

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La caméra de recule fut difficile à avoir, mais j’ai quand même réussit à la choper après quelques temps, pour voir un peu ce qu’il se passait sur le fourgon. Et je dois avouer que la dernière chose à laquelle je m’attendais c’était de voir une espèce de tarée foncer tête baissée sur sa moto à la poursuite du fourgon, le couteau entre les dents et le flingue pointé sur le bolide. « Les plans les plus audacieux doivent souffrir de leurs lots d’imprévus. » Je pousse mes doigts entremêlés pour faire craquer mes phalanges avec rudesse avant d’attraper mon casque et d’activer le micro. Quelques clics plus tard, quelques mots tapés du bout des doigts sur le clavier et me voilà à leurs parler à l’oreille. « La derrière vous est armée. C’est manifestement la seule qui vous poursuit. Pour le moment ne tirez pas, elle est assez loin. Contentez vous de zigzaguer dans le trafic. »

Le micro est très vite coupé, remonté le long de sa structure, mais je ne peux pas me remettre au fond du siège. J’observe les caméras de circulation en soupirant, contrarié : Je n’ai aucun moyen d’entendre ce que ces imbéciles on a me dire. Mais ces gros rustres n’ont pas été foutus d’être discret et ça, je l’ai en travers de la gorge. Finalement je rabaisse le micro pour le réactiver : « Prochaine sortie dans deux cents mètres. »

Elle ne les rattrape pas, mais pour le moment il n’y a pas grand monde sur la route. Et c’est malheureusement pas dans des bouchons qu’on pourra la perdre vu la maniabilité des motos. Il va falloir trouver autre chose. Mais au moins un tantinet plus de voitures pour pouvoir avoir des boucliers à portée de main. Il est assez tôt encore, mais les parents seront bientôt de sortie. « Troisième sortie puis deuxième à gauche, vous allez voir une école primaire. Ne ralentissez pas. » Dans combien de temps la police serait-elle alertée ? Normalement on aura quelques minutes encore. Aucun tir n’a été tiré par le fourgon pour le moment mais je sens qu’ils bouillonnent à l’intérieur. J’aimerais autant que possible qu’ils évitent d’ouvrir le feu sur n’importe qui. « Dans environs 4 minutes la police interviendra. Ne tirez que sur mon ordre. »

Du coin de l’œil je repère la voiture de patrouille allumer ses girophares sur l’avenue principale et faire demi tour, c’est probablement la voiture la plus proche. Trop tard pour aller écouter les ordres donnés et savoir qui ils prendront pour cible, fais chier. Grincement de dents. Tu commences à m’emmerder, la Harley.

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La poursuite s’intensifiait et, avec l’épaississement du trafic, vint l’épaississement de mes réflexions. Je réfléchissais aussi vite qu’il m’était possible en voyant l’écart qui doucement s’amenuisait à mesure que les voitures forçaient le fourgon à ralentir.   « Troisième à droite » Le calme raidit ma voix, mes inflexions ne laissent absolument pas place au doute. Je me permet même d’ajouter quelques mots. « Si vous ouvrez le feu sans que j’en donne l’ordre, je vous considérerais comme fautif de l’échec de la mission. » Pas besoin de quoi que ce soit de plus, je pense qu’il ne faut pas vraiment réfléchir à deux fois dans cette situation. La vérité c’est qu’ils ignorent de qui ils peuvent recevoir leurs ordres. Mais ce qu’ils n’ignorent pas, c’est qu’être celui à cause de qui on échoue peut couter très cher que ce soit par le prix à payer auprès du commanditaire ou celui auprès de l’organisateur.

La demoiselle approche très très proche du fourgon, assez pour que je puisse voir les détails de son casque dans la caméra de recule. Je pianote quelque chose sur mon clavier et ouvre le plan de la ville, celui-ci constellé de plusieurs ronds rouges. « Deuxième à gauche, puis tout droit jusqu’à nouvel ordre. » La police entamait son ascension jusqu’à la course poursuite, dérapant à tout va juste derrière. C’est le moment que j’ai choisis pour m’installer sur les échanges de la police du quartier et écouter avec soin les mots utilisés. « On a repéré la moto sur Ridge Road, on passe le croisement avec Davis Street. Elle continue de suivre un fourgon gris clair de marque américaine. D’ici on ne peut pas voir la plaque. »  Mon sourire s’étire, tout se passe comme prévu.

J’étends mes bras et mes coudes craquent, tirant sur mes doigts qui craquent également alors que je lâche un long soupir : La situation est on ne peut plus intéressante. Les policiers ne devraient pas tarder à communiquer par haut parleur mais je n’entendrais absolument rien. « N’essayez pas de communiquer avec la police, laissez le doute planer sur votre innocence tant que possible. Mais ne tirez pas non plus et assurez vous que le colis reste caché. » Ces hommes sont des professionnels, ils doivent fulminer à l’idée qu’une voix inconnue leurs rappelle ça, mais soyons clairs : être expérimenté n’empêche jamais le fait d’être stupide comme un bébé chien. Qu’ils éventrent des voyous à tour de bras ou non, je n’avais confiance qu’en ceux qui avait déjà fait leurs preuves avec moi.

« Prenez la 5 et continuez jusqu’à pouvoir prendre la 91. Groupe B, départ dans 40 secondes. » Le groupe B ne devait être là qu’en cas de pépin, mais les flics et cette Harley sont suffisamment de pépins pour créer une intoxication au cyanure.

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« Mais tu me casses LES COUILLES ! » Mon poing s’abat brutalement sur mon bureau faisant tressauter tasse, clavier, souris et écrans alors que la pétasse quitte la caméra de recul en profitant d’un virage. A croire que ces imbéciles ne savent pas esquiver des voitures sans piler comme des forcenés, c’est terrible. Je cherche une autre caméra pour suivre ce qu’il se passe, mais très vite la caméra de recule vacille comme si le chauffeur perdait le contrôle du véhicule. Qu’est-ce qu’elle a fait, putain ?

Une caméra de circulation plus tard, la vitre semble brisée côté chauffeur et la roue avant droite est crevée. Des étincelles s’envolent alors de la jante, s’accrochant sur la peinture de la moto. Je serre les dents, fronçant les sourcils si fort qu’ils pourraient se toucher.


« La police va ouvrir le feu bientôt. Attendez qu’ils commencent. » La voix est calme, mais ils n’en sauraient rien : Ma voix est entièrement maitrisée et modulée de toute manière, ils ne pourront que difficilement comprendre mes émotions actuelles. Mais quel haine, quel hargne… Je voudrais la plonger dans l’acide et l’écouter hurler, cette truie. Juste écouter tes hurlements de douleurs et de terreur et la voir payer pour avoir foutu la merde dans mes plans.

La police ouvre le feu sur la moto, mais rate son coup. Je ne peux pas entrer dans la caméra de service de la police sans avoir le numéro de série de la caméra et comment elle est connectée. Quel enfer ! Ils ne savent même pas viser ces crétins congénitaux, faudrait tout faire soi même dans cette histoire. « Tirez. »

La porte latérale du fourgon s’ouvre presque aussitôt, mais je ne vois rien. Je sais juste qu’ils tirent lorsque j’entends la police communiquer. « Le fourgon vient de répliquer, nous avons besoin de renforts.  Sur la cinquième ! » Si tout est bien logique, ils vont continuer à tirer sur la moto puisque c’est elle qui a ouvert le feu mais les renforts vont sans doute se concentrer sur le fourgon. Il va falloir agir vite. « Les renforts arrivent, attendez vous à deux voitures. Ne tirez pas sur la police avant mon commandement. Mais continuez à viser la moto. »

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Frisson. La colère continue de gonfler, un peu comme une tempête. Elle couve dans ma gorge, ses orages se déchainent dans ma mâchoire, le tonnerre grimpe de mes poumons. Mon regard mauvais file vers le décompte à droite qui indique moins de six minutes. Et les secondes continuent de s’égrener. Le témoin de mon micro reste rouge alors que, sans desserrer les dents, je laisse filer quelques mots d’entre mes lèvres froides. Mon corps raidit dans son fauteuil de cuir.

« Je vais la fumer comme un saumon, sa putain de rivière va lui manquer. »

Je ne me suis pas vraiment rendu compte de la pression que j’exerçais sur ma tasse, entre mes dix doigts, mais déjà mes phalanges commençaient à blanchir à cause de la pression. Frénétiquement, mon talon droit continue de tapoter le sol avec panache. Il ne reste pas assez de temps. Cet énoncé résonne dans ma tête alors que de plus en plus me viennent des images culinaires pour définir ce que j’aimerais faire à la Harley. Peler sa peau comme celle d’un oignon, la trancher avec soin comme de la rosette. Je me lève soudainement, mon siège tombant à la renverse derrière moi alors que je lance la tasse loin derrière moi, explosant dans un fracas certain. Il faudra en acheter une nouvelle.


L’équipe B n’arrive que dans deux minutes minimum à la hauteur d’eux et pourra éventuellement intervenir. Mais j’ai bien peur que tout soit perdu pour cette mission. Doucement je pianote sur un fichier textuel un message chiffré qui, une fois décodé, donne sobrement « Nous avons perdu le colis. La prochaine intervention vous sera offerte. » Un peu d’esprit commerçant, malgré tout. Même si tout devait se passer comme prévu, même si mon plan était génial il n’était pas exempt de faiblesses. Peut-être ai-je pêché par excès de confiance et en cela je ne peux que m’en vouloir. « Les renforts arrivent, dirigez vous vers le point d’extraction B17. Envoyez le colis sur la voiture de patrouille derrière vous. » Je soupire doucement alors que je quitte le salon vocal de l’écran le plus à gauche pour en rejoindre un nouveau. Mes mots sont simples et clairs, n’ayant nullement envie de m’étendre davantage.   « Pas d’extraction pour l’équipe A. »

Doucement, je fais craquer ma nuque à deux reprises avant de presser mon pouce et mon index contre l’arrête de mon nez. Nouveau soupir d’exaspération . Je dépose mon casque sur le bureau et déconnecte avec soin les différents logiciels ouverts sur l’ordinateur.  Cette mission est un échec. « Assiette de foie gras et figues. J’ai bien mérité une pause. » Et alors que je me dirige doucement vers la cuisine en soupirant, un message reçu sur mon téléphone me fait à nouveau soupirer. « Assurez-vous que la cible est vivante. Si non, je vous recontacte avec un nouveau nom. »  Au moins voilà qui est entendu.



Pendant ce temps, et même si je ne regarde plus les communications. Je sais que les hommes m’ont obéit et on simplement ouvert la porte latérale du camion pour jeter l’ancêtre directement sur le capot de la voiture des flics. Avec un peu de chance, celui-ci a réussit à s’accrocher de toute ses forces jusqu’à ce que la patrouille s’arrête. Dans le cas contraire, il va probablement mourir des suites de ses blessures selon toutes statistiques un tant soit peu logique. Ils ont ensuite décidé de prendre la bretelle suivante et de passer par le pont qui surplombe la route pour essayer de fuir avec sans aucun doute la moto toujours collée derrière eux, même si elle avait l’air d’avoir décroché. Il n’aura fallut qu’un lance roquette pour faire sauter le fourgon depuis une voiture de marque américaine noire très oubliable encore sur la route principale. Un échec rondement mené.

Pendant ce temps, je sirote un verre d’eau glacé tout en trempant le foie cuisiné la veille dans la figue et la canneberge avec soin pour relever les saveurs, observant d’un air simple la peinture de Dalmatien accrochée devant la table de la salle de vie. Pas de télévision en vue, seulement une musique calme à peine voilée par les bruits de couverts sur l’assiette. « Un délice. Peut-être davantage de sauce la prochaine fois. »