Ils disaient qu'elle était froide, avec une humanité proche du néant et au cœur de glace. Peut-être était-ce vrai ? Mais si c'était vrai, alors ce devait être des qualité que sa mère lui avait mit pour remplacer ses propres défauts. C'était ce qui la définissait le mieux, une longue série de corrections pour la rendre meilleure que ne l'était sa mère. Elle n'était pas qu'une vulgaire copie, elle était la version améliorée. C'était ce que lui avait martelé sa mère. Mais elle n'était pas aussi sûre. Il y avait le reste qui la faisait douter. Elle devait l'avouer, parfois elle ressentait un poids sur sa conscience, un poids qui ne devrait pas être là. Un effet secondaire de la technique de clonages employée pour la créer. Elle avait listée une autre série de défauts liée à sa condition de clone.

Elle avait des hallucinations. Elle le savait qu'il ne s'agissait que d'hallucinations, des souvenirs parasites qui envahissaient sa mémoire génétique. Elle n'était sensée n'avoir accès qu'aux connaissances et compétences de sa créatrice, pourtant elle entendait parfois des pleurs d'enfants, ou encore des collègues inexistants. Parfois elle ressentait des émotions qu'elle ne devrait pas ressentir, comme de la fierté ou de la déception. Elle fut conçue comme une machine de pure logique, ne répondant pas aux stimulus habituels de l'humain moyen. Son excitation se trouvait dans la science, et sa satisfaction ne venait jamais déformer son visage face à une découverte majeure. Elle était génétiquement conçue ainsi, avec les imperfections que sa mère n'avait pas le temps de corriger car son grand âge la pressait.

L'âge, d'ailleurs, faisait parti des rares choses à la terroriser. Elle avait vu combien le temps avait fait de sa mère l'ombre d'un scientifique de génie, parfois poussée par la folie de la sénilité, souvent mise à bas par la dégradation rapide de son vieux corps. Elle ne voulait pas finir ainsi, elle craignait le résultat avec sa condition particulière. La dégénérescence qui pouvait en découler ne lui donnait aucune envie de ne pas essayer de tromper le temps, peu importe comment. Son bras dans le formole était une de ses méthodes afin d'étudier plus amplement les conséquences du temps sur son métabolisme. La peur de finir gâteuse plus tôt que prévu lui pendait les tripes. En fait, tout ce qui entourait la peur de la mort était présent chez elle. Peut-être une sécurité mise en place par sa mère ?

Elle n'arrivait pas à voir en quoi des relations humaines étaient normales pour les autres. Elle trouvait qu'il s'agissait d'une perte de temps en dehors du travail. Elle comprenait la nécessité d'une cohésion de groupe sur un large projet scientifique, mais pas ce besoin de trouver un partenaire pour partager sa vie avec lui. Ce n'était qu'un besoin animal, un relent de ce passé de singe qui hantait encore la génétique de l'humanité. Elle était heureuse d'en être débarrassé, c'était une perte de temps. Dans un sens, elle se débarrassait aussi du facteur humain dans ses recherches, leur préférant les machines qu'elle pouvait contrôler comme une extension de son esprit. C'était une préférence qu'elle ne cachait jamais. Elle était certainement misanthrope, avec son incapacité à supporter que les autres touchent à son travail, ou la touchent elle.

Elle était solitaire, ce n'était pas une grande nouvelle. Elle n'arrivait pas à supporter la présence des autres adultes et la présence d'adolescents l'insupportait. Les enfants étaient une chose à part. Quelque chose en elle se tordait quand elle les voyait, quelque chose qui lui donnait envie de vomir. Les voir la dégoûtait, littéralement. Avec leurs peaux si fragiles et leurs os si facilement cassables, leurs yeux émotifs et leurs voix expressifs. Peut-être les hallucinations qui incorporaient si souvent des enfants qui faisaient ça ? Ou alors l'impression qu'elle devait leur faire quelque chose d'horrible sans jamais vraiment savoir quoi. Avoir envie de le faire sans le désirer soit même. Être tiraillée entre génétique et psychologique.

Elle les enviait assez comme ça, d'avoir droit à cette enfance qu'elle peut juste oser imaginer. Ils avaient droit à plus qu'elle ne puisse même rêver. Elle les haïssait dans un sens, mais pas avec ce feu qui habitait certains qui venaient la voir en espérant trouver une vieille dame morte depuis des années. Ils ne voyaient qu'elle, une sorte de piqûre de rappel d'horreur qu'elle ne pouvait que vaguement halluciner et imaginer connaissant sa mère. Elle était un héritage, et un héritage n'était pas sa propre personne. Et ça la hantait, quand elle essayait d'obtenir des fonds de recherches et qu'elle voyait le dégoût dans le visage de ses supérieur. Elle n'était que sa mère pour eux... Peut-être était-ce pour ça qu'elle cherchait à ne pas faire les choses exactement comme elle ?

Elle était mutilée. Il n'y avait pas mieux pour décrire l'état actuel de son anatomie venant d'un œil profane. Mais de son point de vu, elle était améliorée et une véritable ode à la science. Sous cette peau couleur chocolat se cachait une technologie de pointes, des nanomachines maintenant ce corps à flot en réparant au cœur même de la chair les dégâts provoqués par les aléas de la vie. Son bras gauche, perdu depuis longtemps et reposant au fond d'un placard, était remplacés par une prothèse de pointe. Blanche, à l'armature noire, elle était légère et résistante toute en étant discrète. L'intérieur de ses yeux noisettes cachaient un soutien bionique, l'aidant dans son travaille d'analyse grâce à une liaison auprès de son système olfactif.

Sous son cuir chevelu, à la base de sa nuque non loin de son tatouage se trouvait un implant faisant le lien entre chacun de ces miracles de technologie, à la fois centre de commande et émetteur-récepteur. Un amplificateur pour ses capacités hors du commun, lui donnant un point d'ancrage quand elle ne faisait plus qu'un avec la machine. Oui, son corps n'était qu'une interface pour son esprit, une interface de chair qu'elle cherchait à dépasser. Qui lui en voudrait ? C'était son seul moyen de se démarquer de cet ADN copié qui composait sa structure génétique. Non pas que beaucoup en auraient quelque chose à faire. Elle n'était que sa mère en plus jeune à leurs yeux. Ils ne voyaient que les mêmes lèvres foncées, le même nez prononcé, le même visage sculpté, le même regard froid et calculateur, la même personne qu'une vieillarde sénile au potentiel intellectuel sous-estimé.

Peu importe ce qu'elle faisait, on ne voyait que son attirance pour les tenues traditionnelles indiennes, on ne voyait que sa façon assurée de se déplacer, on ne se concentrait que sur des lunettes holographiques ne servant qu'à filtrer un trop plein d'information, on ne voyait que des cheveux aussi long qu'une femme qu'on appelait sorcière. Elle devait admettre que souvent, elle voyait plus sa mère qu'elle-même dans le miroir. Mais ce n'était pas un mal, l'extérieur semblait sain si ce n'est pour ses multiples implants que les autres voyaient comme l’œuvre de la folie. Parce que la réalité, ils s'en moquaient bien, ils ne voulaient que revoir une vieille dame maintenant sous terre. Ils se moquaient bien de l'intérieur de son anatomie qui avait besoin de toute cette parure technologique pour survivre.

Elle était malade. Pas dans le sens de la folie. Mais c'était son secret bien gardé, la dégénérescence progressive et inévitable de sa condition. Où peut-être était-ce autre chose qui la faisait cracher tout ce sang, qui lui donnait le tournis et qui faisait d'elle l'ombre d'elle-même lors des crises les plus graves ? Elle n'en parlait même pas à un médecin, une sorte de crainte qu'on remarque les autres tâches de son anatomie intérieure liée à ce qu'elle était dans le fond. Elle craignait qu'on remarque la taille anormalement petite de son estomac, ses poumons déjà presque noirâtre, ou encore son deuxième rein quasiment inopérant, le tout couplé avec sa structure organique en inversé comme un miroir, son cœur à droite au lieu d'être à gauche et ainsi de suite pour chaque organes...

Ses os, bien qu’épargnaient pour l'instant, l'inquiétaient en se souvenant de l'état de sa mère dans ce fauteuil roulant. Ses muscles tenaient encore bien les choques, mais elle ne faisait pas autant d'exercices pour la vanité d'une belle silhouette. Elle le faisait car c'était vital. Ses organes commençaient déjà à défaillir, que penser si les muscles en faisaient autant ? Certainement pas grand chose. Elle souhaitait retarder au maximum ce jour où elle serait paralysée dans un lit d'hôpital, sans aucune chance de pouvoir contrecarrer ça car elle n'aurait pas pensé à combien ce corps copié est fragile et périssables. Elle était améliorée, mais pas plus fonctionnelle que sa défunte mère. Elle ne voulait pas finir avec la gorge broyée par un tiers, quelque part entre la haine et la compassion...

Look, just because I don't be givin' no man a foot massage don't make itright for Marsellus to throw Antwone into a glass motherfuckin' house,fuckin' up the way the nigger talks. Motherfucker do that shit to me, hebetter paralyze my ass, 'cause I'll kill the motherfucker, know what I'msayin'?